Gabriel Gosselin (1621-1697)

Illustration: Courtoisie de Labatt Ltée

DE DOMESTIQUE À BOURGEOIS
        Depuis que le Chanoine David Gosselin s'est intéressé à la vie de notre ancêtre Gabriel Gosselin (1621-1697)(1), de nombreux écrits furent rédigés, transmettant de nombreuses informations parfois contradictoires. À la lumière d'aujourd'hui, tâchons d'en savoir un peu plus sur l'ancêtre des Gosselin d'Amérique.

        Sur sa jeunesse, nous savons peu de choses, sinon qu'il vient de Combray, petit hameau de Calvados, en Normandie. Gabriel avait deux frères: Jean (1616-1691) et Gilles (1634-?); ainsi que deux sœurs (1631-1637). Ce fils de Nicolas Gosselin et Marguerite Dubréal a fort probablement quitté une France où l'avenir ne lui semblait pas assez prometteur, pour venir participer aux assises d'un nouveau pays.

        Juste de savoir qu'il était possible de travailler et de pouvoir se procurer des terres sur les rives du Fleuve Saint-Laurent, devait sembler un rêve qui se métamorphosait en une planche de salut, car Gabriel Gosselin ne quitte pas une France paisible et sans problèmes. Le seul fait de ne pas être l'aîné lui offre peut-être encore moins de perspectives d'avenir en cette période trouble, baptisée "La Fronde".

        En 1648, la France est agitée par des soulèvements populaires qui visent à protester contre l'absolutisme monarchique. Que ce soit à la ville ou à la campagne, ces soulèvements ajoutent à la confusion, dans un pays où la pauvreté et les taxes multiples sont de dures réalités. Cet état de guerre civile permanent provoque des épidémies, avec comme résultat un taux de mortalité élevé. À cela s'ajoute les grandes famines (entre autres 1629-1630 et 1648-1651) qui rendent la mort et la désolation omniprésentes.

        La perspective d'une vie plus paisible où les mots liberté et aventure prenaient toute leur signification, malgré la crainte de l'inconnu, une rude traversée et la présence amérindienne sur les rives du majestueux Saint-Laurent, là où les brigands ne brûlent ni ne pillent, là où le gibier est abondant, là où l'on peut être chez soi à force de travail; cette perspective, donc, devenait des plus intéressantes.

        Et puis, peut-être fut-il conquis par ces " Quelques avis à ceux qui désirent passer en la Nouvelle-France..." donnés par le Père Le Jeune, dans les Relations des Jésuites de 1636. Ces avis s'adressent d'abord aux pauvres, c'est-à-dire à ceux qui passaient ici sans aucune ressource quelconque. À ceux-là le Père Le Jeune disait:

           " Venez d'abord seul, puis quand vous aurez défriché votre lopin de terre et bâti une maison pour loger votre famille, faites-la venir ".

           " Il y a tant de forts et robustes paysans en France qui n'ont pas de pain à se mettre sous la dent, est-il possible qu'ils aient si peur de perdre la vue du clocher de leur village, comme l'on dit, qu'ils aiment mieux languir dans leurs misères et pauvretés que de se mettre un jour à leur aise parmi les habitants de la Nouvelle-France, où avec les biens de la terre ils trouveraient bien plus aisément ceux du ciel et de l'âme, les débauches, les dissolutions, les procès n'ayant point encore ici cours ".

           " La Nouvelle-France ", disait-il, " sera un jour un paradis terrestre, si Notre-Seigneur continue à la combler de ses bénédictions, tant corporelles que spirituelles, mais il faut, en attendant, que ses premiers habitants y fassent ce qu'Adam avait reçu commandement de faire en celui qu'il perdit par sa faute ".

Mais à quel moment Gabriel Gosselin traversa-t-il l'Atlantique?

        L'historien Marcel Trudel nous apprend que Gabriel Gosselin apparaît pour la première fois dans un acte notarié, le 13 février 1651(2). Lorsque l'on connaît l'impossible navigation hivernale, on peut facilement conclure que Gabriel était au pays en 1650. Cependant, si comme nombre de ses compatriotes, Gabriel s'était engagé pour 36 mois, on peut, sans grand danger de se tromper, présumer qu'il serait arrivé en 1649. De fait, Eléonore de Grandmaison, de qui il est serviteur à l'Île d'Orléans en 1651, lui concède une terre de 4 arpents de front, le 30 novembre 1652. C'est sur celle-ci qu'il élèvera ses douze (12) enfants, issus de ses deux mariages: avec Françoise Lelièvre, en 1653, puis avec Louise Guillot, demi-sœur de Louis Jolliet, en 1677.

        Cependant, la Nouvelle-France ne correspond pas tout à fait à l'image du paradis terrestre.

          " Lorsqu'ils débarquaient en été dans ce nouvel empire en friche, ils y découvraient certes une abondance de biens, mais ils devaient travailler sans relâche pour arracher ses richesses à ce rude pays. Les nouveaux arrivants étaient constamment assaillis par des hordes de mouches noires et moustiques. Quant à ceux qui qui décidaient de passer l'hiver au pays, ils devaient affronter les vents, la neige et le froid. Pour ces aventuriers en terre inconnue, la vie était faite d'angoisse et de solitude, de pauvreté et de privations, ainsi que de maux et de souffrances qui rappelaient sans cesse à l'homme la fragilité de son existence "(3).

        De plus, l'époque qui correspond à son installation sur l'Île d'Orléans est l'une des plus troublées de la jeune colonie.

           " Les Iroquois attaquent Montréal et Trois-Rivières, le 19 août 1652; le Gouverneur trifluvien, nouvellement arrivé de France, poursuit imprudemment les assaillants dans les bois. Il s'y fait tuer avec vingt-deux compagnons. Ce sera l'un des deux incidents les plus meurtriers de la guérilla iroquoise, responsable d'un peu plus du tiers des décès en Nouvelle-France entre 1632 et 1663 ".

            " À nouveau, la question se pose: Faut-il fermer la colonie et retourner en France? Ou envisager de faire venir des navires pour rapatrier tout le monde? ".

            " Les colons s'organisent sur place, tout en se tenant prêts à partir s'il le faut. Chacun s'en veut aller en France et, au même moment, on se marie, on bâtit, le pays se multiplie, les terres se défrichent, et tout le monde pense à s'établir ".(4)

        Mais il semble que tout cela est encore bien peu, après avoir supporté famine et état de siège dans la mère-patrie; la souffrance d'ici se résumait à encore peu de choses devant la désolation en France. Et puis, La Liberté a son prix!

        Analphabète, Gabriel Gosselin mit vaillamment à profit ses autres qualités. Aidé d'abord de domestiques, puis de ses garçons (il en aura 10); Gabriel possède en 1667, 55 arpents en valeur.

        C'est à Marie de l'Incarnation que l'on doit cette information, à savoir que l'on conseillait aux jeunes filles qui arrivaient en Nouvelle-France de fréquenter leur fiancé pendant une année, soit le temps de lui permettre de défricher un premier lopin et de bâtir une première maison. Durant cet intervalle, la jeune fille pouvait se familiariser avec les cultures d'ici, l'art de tenir maison, etc ... car c'est sur elle que reposerait la maisonnée pendant que l'époux continuerait de défricher. Le bois ainsi abattu servirait éventuellement à un futur voisin qui s'établirait à son tour.

        Hommes d'affaires comme pas un, Gabriel a fort probablement exploité ses fermes au maximum pour en tirer le meilleur profit possible.

        À la terre acquise en 1652, il ne cessera d'ajouter de nouvelles concessions. D'abord de Jacques Gourdeau en 1658, puis 38 arpents de Pierre Gilbert en 1664, 2 arpents de Jacques Cailhaut en 1667, 207 arpents carrés de Vincent Poirier en 1666, 100 arpents de J.B. Peuvret de Mesnu en 1667, de Jacques Bernier en 1674, 2 1/2 arpents des Ursulines en 1675, 2 autres des Hospitalières en 1676 ... Les paroisses de Saint-Pierre et de Saint-Laurent ont comme vaillant paroissien un homme qui n'as pas peur du travail.

        Pour accueillir le fruit de ses cultures et ses nombreuses bêtes (20 bêtes à cornes en 1666, 45 en 1681, en plus d'une ânesse et de 80 brebis, sans compter volailles et cochons), il aura une grange de 80 x 21 pieds, deux hangars, une bergerie de 30 x 20 pieds, et des hangars sur les autres fermes.

        Ses 90 contrats devant notaire nous démontrent son sens des affaires qui le font passer à coup sûr de " bon domestique " d'Eléonore de Grandmaison à " plus grand propriétaire de l'Île d'Orléans ".

        Non satisfait, il fera l'acquisition dès 1657, d'un terrain de 40 x 20 pieds, sur le quai du cul-de-sac à la basse ville de Québec, sur lequel il bâtira une maison dont il tire profit, Gabriel demeurant toujours sur l'Île. En 1675, il vendit cette dernière à Pierre Duquet, pour 1500 livres. Gabriel désirait en construire une autre beaucoup plus spacieuse, de 37 x 26 x 28 pieds, en maçonnerie, en 1677, rue Sous-le-Fort, à la Place Royale de Québec, tout juste aux côtés de la batterie Royale. Coût: 3500 livres. Malheureusement, le feu la détruisit en 1682.

        Ne reculant devant rien, Gabriel fait appel en 1683 au plus grand architecte de Québec à l'époque, celui qui a travaillé à la basilique de Québec, à la chapelle Notre-Dame-des-Victoires, à l'église Sainte-Anne-de-Beaupré, Claude Baillif, à qui il commande des devis pour une nouvelle maison. Détruite en 1759 par les boulets anglais, lors de la Conquête, une reconstruction abrite aujourd'hui un restaurant, copropriété de Jacques Gosselin. L'Histoire se répète, puisque Pierre Babin, aubergiste, y avait déjà eu pignon sur rue en 1698...

        Encore une fois, Gabriel Gosselin venait de franchir une nouvelle étape. L'habitant d'envergure de l'Île d'Orléans devenait " bourgeois " de la cité de Québec. Il allait, à sa façon, laisser sa marque dans ces deux berceaux de la francophonie Nord-Américaine et du Québec moderne, à savoir: l'Île d'Orléans, terre fertile et grenier de la colonie, et Québec, centre administratif et capitale.

        Bon chrétien et miraculé de la Bonne Sainte Anne, Gabriel Gosselin mourut à Québec, dans la maison qu'il habitait depuis quelques années, le 6 juillet 1697 à l'âge de 76 ans. Le lendemain, il était inhumé à Québec. À cette époque, le cimetière de la Côte de la Montagne ne sert plus. Gabriel fut donc porté en terre dans l'un des cimetières adjacents à la basilique Notre-Dame-de-Québec, soit: Saint-Joseph, Sainte-Anne ou Sainte-Famille. C'est d'ailleurs dans le cimetière Saint-Joseph que sa fille Françoise fut portée le 2 août 1674. Y repose-t-il encore? On peut présumer que oui, à moins qu'il n'ait été transféré avec sa fille, sous la crypte de la Basilique de Québec, après une des nombreuses fouilles archéologiques dans ce secteur du Vieux-Québec.

        Gabriel a légué de nombreux biens à ses enfants, mais aussi le sens du travail et des affaires. N'exploitent-ils pas à leur tour la maison de la Place Royale dès 1698? Il fut le pilier d'une grande famille grâce à ses 12 enfants et 70 petits-enfants. Son nom n'allait pas s'éteindre de sitôt. Aujourd'hui encore, Jean-Robert et son épouse Marie-Anne occupent une terre que Gabriel légua à Ignace, son aîné.

Rédigé par Jean-François Gosselin (0778), Québec Juin 1992
Courriel : jfgosselin63@hotmail.com

RÉFÉRENCES:
(1) Album-souvenir, Association des familles Gosselin, Juin 1983, page 14.
(2) TRUDEL, Marcel, Catalogue des immigrants 1632-1662, 1983.
(3) ARMSTRONG,Joe C., Samuel de Champlain, page 24.
(4) DEROY-PINEAU, Françoise, Marie de l'Incarnation, Marie Guyart, femme d'affaire mystique, mère de la Nouvelle-France, page 85.
(5) Extrait des registre de l'état civil de Combray, Calvados, Normandie, FRANCE.


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