La terre de nos aïeux


"LA TERRE DE NOS AÏEUX" REVISITÉ

"Ô Canada, terre de nos aïeux ..."

Ce fut l'un des premiers chants que j'ai appris, lors de mon entrée en première année à l'école de ma paroisse. Les religieuses Ursulines étaient déterminées à aider les Franco-Américains à toujours se souvenir de leurs ancêtres - aussi le chantions-nous régulièrement. Durant les premières années, nous faisions le serment d'allégeance aux États-Unis dès notre arrivée en classe le matin, et immédiatement après venait le "O Canada".

Je souhaiterais avoir montré une plus intense curiosité sur mes ancêtres durant mon jeune âge. Je me souviens vaguement l'expression de mon grand-père lorsqu'il évoquait ses souvenirs: il était particulièrement fier du premier Gosselin, arrivé à Québec au milieu des années 1600, et qu'en dépit de son incapacité à lire et à écrire, l'ancêtre Gabriel éleva 12 enfants et laissa une très imposante succession au moment de sa mort en 1697.

Le seigneur Jacques Gourdeau de Beaulieu lui céda une terre au sud-ouest de l’Île d'Orléans, qui est maintenant appelée paroisse de "Sainte-Pétronille", une terre de quatre acres face au fleuve Saint-Laurent. Cette île enchantée d`à peu près 20 milles de long est située juste à l'est de la ville de Québec. C'est là que Gabriel et sa femme Françoise Lelièvre élevèrent leurs dix enfants qui les aidèrent sur la ferme. Après la mort de sa femme, Gabriel épousa Louise Guillot, une jeune veuve âgée de 18 ans (soeur de la mère de Louis Jolliet, découvreur du Mississippi), et ils eurent deux autres enfants.

Le seigneur Beaulieu, le noble qui distribuait les terres pour attirer de nouveaux colons, a sûrement été impressionné par le dur travail de Gabriel, puisque mon ancêtre élargit son domaine jusqu'à posséder presque la moitié de la pointe ouest de l‘Île, tel que nous le relate Monseigneur David Gosselin, un historien du dernier siècle.

De minces bandes de terre s'étendant perpendiculairement du Saint-Laurent au centre de l'Île, des deux côtes furent données à ses fils. Ces longues parcelles avaient des avantages: les membres de la famille pouvaient vivre indépendamment et en même temps être voisins — et le tracé en était fait pour un labourage plus facile. La maison de bois, le bétail et les jardins faisaient face au fleuve, tandis que les champs de blé, d'orge, d'avoine et de pois s’étendaient vers les bois à l'arrière de la ferme, en direction du centre de l'Île. Nous savons par Monseigneur Gosselin que la première bande de terre de Gabriel était située sur la rive nord-ouest de l’Île, près du présent pont, faisant face aux splendides Chutes Montmorency sur la rive opposée. Cependant, comme il ne reste aucun vestige pouvant nous en indiquer le site, il nous a été impossible d`en localiser l‘endroit exact lors de notre tour de l'Île en l988. Longtemps avant la construction des six impressionnantes églises maintenant érigées sur l'Île, Gabriel construisit la toute première chapelle sur ses terres, près de la rivière. Occasionnellement, un prêtre qui voyageait de Québec à l'Île en canot célébrait l'Eucharistie, et les voisins étaient invités à y participer. Étant déterminés à retrouver le site exact de la première ferme de Gabriel, lors d'un plus récent pèlerinage familial, notre bonne fortune nous fit rencontrer Anne Coté, dont la grand-mère maternelle était une Gosselin, descendante de Gabriel. Anne travaillait à la boutique d`artisanat adjacente à l’église de Saint-Pierre. Elle put nous montrer la location précise de la première ferme Gosselin sur l`Île, et le présent propriétaire nous invita gracieusement à traverser la propriété et à prendre des photos.

Ce fut une expérience très émouvante que de fouler le sol de la terre que mon ancêtre avait cultivée 300 ans auparavant et où lui et sa femme commencèrent une famille dont plusieurs milliers de descendants sont maintenant installés à travers toute l’Amérique du Nord. Chaque Gosselin — et les milliers d'autres dont le nom fut changé lorsqu’eux-mêmes ou leurs ancêtres Gosselin se marièrent — est un descendant en ligne directe de Gabriel Gosselin qui arriva de France vers 1649, sans le sou mais qui, avec une détermination et un grand courage, accumula des biens considérables aussi bien à l'Île d'Orléans qu`à la basse-ville de Québec.

Ce soir là, — c’était le 295èmc anniversaire de la mort de Gabriel en juillet 1697 — ma famille et moi-même avons dîné dans la maison où l’ancêtre mourut. La maison originale fut détruite par un incendie au moins une fois, et fut aussi bombardée par la flotte Britannique à deux occasions; elle était située en bordure du Saint-Laurent, entourée des canons servant à défendre la basse-ville, ce qui faisait de la maison une cible évidente. Reconstruite par le Gouvernement du Québec sur les fondations originales, en préservant l'architecture initiale, elle fut finalement convertie en restaurant de fine cuisine, comprenant un café extérieur et un bar en bas à l’arrière. Incidemment, l’un des copropriétaires était un descendant Gosselin. Située au bout de la rue Sous-le-Fort, laquelle conduit au funiculaire qui mène les piétons de la basse-ville à la terrasse faisant face au Château Frontenac, la maison est décrite par les guides touristiques comme "la plus vieille maison de la ville de Québec". Le traversier, faisant la navette entre Lévis et Québec, s'amarre au quai situé juste de l‘autre coté de la rue faisant face au café extérieur.

Nous avons aussi visite l’église Notre-Dame-des-Victoires, la plus vieille église de pierre du Canada, à quelques pieds seulement de la maison de Gabriel, au centre de Place Royale. D'après les documents, mon ancêtre possédait un banc juste au bas de la chaire. De toute façon, il n'est pas évident qu`il y ait eu une chaire dans l’historique structure, et le sacristain actuel affirme qu'il n'y en avait pas. La plupart des vieilles églises ont une chaire du côté de l’évangile. Une section de ce mur avait été enlevée, peut-être dans les années ultérieures, pour adapter une chapelle et des confessionnaux. Si la maison Gosselin a été endommagée par les canons de la flotte Britannique, la petite église a dû avoir également sa part de bombardements, le mur de l’évangile faisant face au fleuve.

Aucun registre n'indique le lieu où Gabriel fut enterré. Il n`était pas rare que les vieux paroissiens soient enterrés sous le banc qu’ils possédaient. Un de nos buts, lors d'un prochain pèlerinage, est précisément de déterminer l’emplacement exact du banc de Gabriel dans cette église.(1)

N'importe où il fut enterré, mon ancêtre a dû se retourner dans sa tombe lorsque Québec fut conquise par l`Angleterre en 1759. Le traité de 1763 mit fin à la Guerre de Sept-Ans et priva la France de toutes les terres d'Amérique, à l’exception des Îles de Saint-Pierre et Miquelon, au sud de Terre-Neuve. Mais l’Acte de Québec de 1774 garantissait la liberté religieuse pour les catholiques ainsi que la loi civile française.

La ferme, du côté sud-ouest de l’Île, possédée et cultivée par le fils aîné de Gabriel, Ignace, est demeurée dans la famille depuis plus de 300 ans, transmise de génération en génération. C'est précisément de cette branche que descend ma famille. Nous avons acheté de belles fraises fraîches d'une ferme adjacente dont Louis Gosselin est propriétaire.

Grâce à la recommandation d’amis, nous avons pu obtenir des chambres à l’hôtel Fleur-de-Lys sur la rue Sainte-Anne, derrière le couvent des Ursulines. Un peu après notre arrivée, nous avons visité le musée des Ursulines et, en soirée, nous avons pu entendre religieuses et postulantes chanter l’office du soir.

Nous sommes grandement redevables aux religieuses Ursulines d‘avoir éveillé en nous, il y a un demi-siècle, à l`école St.John, le premier désir de connaître nos ancêtres. Voyager le long de la Rivière Chaudière, de Saint-Georges-de-Beauce jusqu`au magnifique Fleuve Saint-Laurent, marcher sur les pavés de pierre dans le Vieux-Québec, causer avec des amis Canadiens dans notre langue maternelle (c’est surprenant comme l’usage de cette belle langue nous revient vite), visiter les sites historiques où vécurent nos ancêtres, savourer l’authentique cuisine française (spécialement le pain croûté) et s`asseoir sur les canons de la Batterie Royale, tout près de la maison ancestrale; il fait si bon de revoir la "terre de nos aïeux".

Henry Gosselin
Brunswick, Maine

(1) Aujourd’hui, nous présumons que Gabriel fut enterré dans l’un des cimetières adjacents à la Basilique Notre-Dame-de-Québec (Note de Jean-François Gosselin, rédacteur en chef

NDLR:
- M. Henry Gosselin est éditeur du journal The Church World. Cet article fut publié dans l’édition du 23 juillet 1992.
- Quant à la maison Gosselin de la basse-ville de Québec, citée dans ce texte, on en retrouve la photographie dans l'album-souvenir publié par l'Association des Familles Gosselin (page 11).
- La rédaction du bulletin de l'Association Gosselin s’est permise quelques corrections au texte original.